En octobre dernier, j’ai eu la chance de découvrir des pochoirs de NeSpoon dispersés dans la petite station balnéaire de Cefalù en Sicile ! Artiste pluridisciplinaire polonaise, elle s’inspire dans ses œuvres incontournables des motifs traditionnels de dentelle.
NeSpoon interprète à sa façon, par le street art, cette technique d’artisanat d’art ancestral qui a « un code esthétique universel [avec] des racines profondes dans la plupart des cultures*». Comme elle aime le déclarer, NeSpoon est « née » en 2009 lorsqu’elle a collé sur un mur sa première œuvre en céramique. Elle utilise différents matériaux et techniques comme la céramique, le pochoir ainsi que des installations faites d’élastiques dans l’espace public pour recréer ces motifs. Pour NeSpoon, la dentelle propose « symétrie, ordre et harmonie qui sont des choses auxquelles nous aspirons tous, nous humains* ».
Au-delà du street art, elle travaille également avec la peinture sur toile, la sérigraphie et la porcelaine.
À Invisible Walls, nous connaissions son travail par les grandes fresques qu’elle a peint dans le cadre du festival Poliniza Dos dans le quartier du Cabanyal à Valencia, et devant le musée d’art urbain Urban Nation à Berlin, mais nous n’avions jusqu’alors jamais vu son travail à plus petite échelle et vandale.
J’étais en vacances en Sicile et un jour de balade à Cefalù pour aller à la plage, j’ai été agréablement surprise d’y trouver ces petites œuvres se démarquant dans le paysage. Intriguée, j’ai proposé à NeSpoon une courte interview pour comprendre ce qui l’avait amenée dans cette ville qui n’est pas une destination de street art, et percer le mystère de ses pochoirs 😊
Sur les traces de NeSpoon à Cefalù
NeSpoon m’a confié que quand elle a peint à Cefalù en juillet dernier, elle aussi était en vacances. Habituellement, elle voyage énormément partout en Europe pour participer à de nombreux festivals d’art urbain ou pour des projets commissionnés. Ce séjour était pour elle un peu différent car elle n’était pas invitée en tant qu’artiste. Mais déformation professionnelle de street artiste oblige, quand on peint en vandale, on laisse sa trace partout sur son passage même en vacances au bord de la mer ! D’ailleurs, hors festival ou commande, NeSpoon peint toujours en vandale. Et quand les festivals d’art urbain lui demandent de ne pas le faire, elle le fait quand même parce que c’est son moyen d’expression artistique.
Dans sa pratique vandale, NeSpoon adopte une démarche très spontanée. Elle ne fait pas de repérage. Elle se balade de nuit et, dès qu’elle le sent, elle bombe un pochoir. Aussi libre que ça !
À Cefalù, elle a choisi de poser ses œuvres sur les petites portes utilitaires insérées dans les façades des rues et appartenant probablement au service de la ville. Le contraste de ses œuvres sur les surfaces lisses et métalliques de leur support au milieu de la rugosité des façades de pierres fait ressortir ses motifs tout en finesse. Ils apparaissent comme des ornementations du mobilier urbain et soulignent la beauté de l’architecture.
Durant son séjour, et ses activités nocturnes, elle a rencontré de nombreux siciliens, plutôt jeunes qui étaient très enthousiastes face à son travail. Elle n’a eu aucune réaction négative ni d’altercation avec la police. Ses amis qui l’accompagnaient n’étaient apparemment pas rassurés de la voir peindre illégalement en Sicile, particulièrement à Palerme où elle est restée une journée, m’a-t-elle raconté en rigolant !
Elle crée et découpe elle-même ses pochoirs avec la même rigueur, patience et précision qu’une ouvrière de dentelle. La découpe des petits formats lui prend un à deux jours de travail. Cette étape est pour elle la plus importante. D’après elle, on reconnait la patte de l’artiste dans ce travail de découpe manuel du pochoir, alors qu’une découpe au laser le dépersonnaliserait complètement.
Au moment de la pose, elle fait une, ou deux, couches de peinture. Bien souvent une de blanc puis une de noir, ou inversement.
Pour ma dernière question, je lui ai demandé un de ses coups de cœur street art sur une œuvre, un artiste, ou une ville en Italie. Elle n’a pas pu choisir et n’a d’ailleurs pas voulu se prononcer car tant d’artistes incroyables ont peint en Sicile ! En revanche elle n’a pas hésité sur sa destination street art préférée : le festival Fame à Grottaglie au sud-est de l’Italie auquel elle a participé en 2011 et qui l’a profondément marquée. C’est selon elle le festival le plus indépendant qu’elle ait fait. De nombreux autres artistes de street art internationalement reconnus y ont peint tels que BLU, Conor Harrington, JR, Swoon, Vhils ou Os Gemeos.
Vous pourrez admirer de nombreuses œuvres de NeSpoon en Italie. Elle y voyage pour y peindre presque tous les ans. Cette année, après son escapade à Cefalù, NeSpoon a participé en septembre au festival Emergence à Oliveri. Elle avait déjà peint une fresque pour l’édition 2018 de ce festival sicilien à Valverde. Et toujours en Sicile, en 2019 elle était à Favara pour la première édition du Countless Cities Biennal organisé par Farm Cultural Park.
On retourne en Sicile pour les prochaines vacances ? 😉
Une plongée dans les pensées et l’engagement de NeSpoon
Durant les vingt minutes de notre conversation, NeSpoon modelait un bout de pâte de porcelaine tout en me parlant. Ce petit bout de pâte a vite pris forme en un pétale de son projet au long court « Thoughts ». Depuis 2012, NeSpoon fabrique 50 kg de pétales en porcelaine par an. Chaque pétale lui prend une minute de son temps (ou l’occupe durant une conversation un peu plus longue !) et tous ses pétales sont réunis sur une grande table lors de ses expositions. Les visiteurs peuvent alors les toucher et ressentir un peu des pensées de l’artiste lors de leur fabrication ! Son but ? Avoir 1500 kg de pétales en 2041 !
Le jour de notre rencontre virtuelle, le 30 octobre, a eu lieu une des plus importantes manifestations à Varsovie pour le droit à l’avortement suite à un arrêt rendu le 22 octobre par le tribunal constitutionnel polonais rendant l’avortement quasiment illégal. NeSpoon qui vit dans la capitale polonaise se préparait à y participer plus tard dans l’après-midi. 100 000 personnes se sont réunies ce jour-là et de nombreux artistes étaient présents. L’artiste féministe Ola Jasionowska a notamment conçu un éclair rouge qui est devenu un symbole de ces manifestations. Début décembre, moment où nous publions cet article, les manifestations continuent à Varsovie pour la cinquième semaine consécutive.
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J’espère que cet article vous aura plu ! N’hésitez pas à nous laisser vos commentaires 🙂
Et rendez-vous sur @invisiblewalls.eu pour le reste de nos découvertes street art en Sicile, direction Palerme cette fois-ci !
*Citations tirées de l’ouvrage Le street art au féminin de Xavier Tapies, aux éditions Graffito Books (2017).
Autre ressource intéressante : NeSpoon Artbook preview.
© Toutes les photos sont d’Invisible Walls.