ROA itinerrance

ROA, Histoire Naturelle : un plaidoyer de l’art pour le Vivant

Peupler nos villes d’une faune sauvage, c’est peut-être la mission que l’artiste Roa se serait fixé. Dans son exposition, intitulée Histoire Naturelle, à Itinerrance, il nous pose cette question : « avons-nous perdu le lien avec la nature ? ».

Sous couvert d’anonymat, Roa reste généralement discret sur le sens qu’il donne à ses œuvres et préfère les laisser parler d’elles-même, ou pour lui-même.

C’était la toute première exposition de Roa à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister- et quasiment mon unique dose de culture de cet hiver ‘covidé’. J’avais auparavant déjà pu admirer certaines de ses fresques à Montréal, Madrid ou Londres. Elsa m’avait envoyé quelques photos de Berlin et de Vienne. Mais cette fois, j’ai particulièrement été sensible à la portée de son travail. Comme si ses œuvres faisaient écho à mes réflexions du moment, mais surtout au contexte lié aux études que je poursuis en urbanisme et biodiversité au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, et à celui de la crise sanitaire.


Le titre de l’article reprend une formulation issue de plusieurs entretiens avec Bruno David, Président du Muséum National d’Histoire Naturelle, à l’occasion de la sortie récente de son livre, A l’Aube de la 6ème extinction (Grasset, 2021). Indirectement, et à travers nos interprétations du travail de ROA, la suite de notre propos s’inspire et invite chacun à s’intéresser aux enjeux écologiques abordés notamment dans cet ouvrage.

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La démarche artistique de ROA

Les animaux géants de l’artiste ROA sont immanquables si vous vous baladez à proximité. Ils prennent généralement toute la surface du mur, un peu comme s’ils souhaitaient investir fièrement tout l’espace du bâti qu’on leur aurait accordé. Un grand calme émane de ces œuvres. Ses sujets sont sobrement représentés en noir et blanc, l’air paisible, endormis ou même morts. Aucun élément extérieur ne semble les perturber ou venir les effrayer. Parfois, ce sont les squelettes des animaux qu’il dessine et les rares aplats de couleur servent à reproduire les organes. Rien de trop macabre ou de sanglant, simplement les représentations pures de l’anatomie. ROA a eu l’opportunité de peindre ses animaux dans de nombreux pays de chaque continent, comme s’il avait déployé une sorte d’inventaire faunistique qu’il aurait choisi de conserver à différents endroits du monde. 

La démarche rappelle celle des explorateurs-naturalistes du XIIe au XIXe siècle qui dessinaient leurs observations et inventoriaient leurs découvertes de la flore et faune de leurs expéditions. De cet héritage, l’artiste puise des inspirations évidentes mais sa philosophie diffère. Son travail est beaucoup plus symbolique et nous renvoie à des enjeux écologiques bien plus actuels.

Toutefois, sa technique s’apparente à celle d’un artiste, et non à la méthode d’un scientifique. ROA étudie les contextes qui se superposent dans la réalisation de son travail, en commençant par son support. La fonction du bâtiment, la culture et le patrimoine local ou l’histoire du pays influencent également le choix final de l’animal et de la forme qu’il lui donne. In fine, ses œuvres incarnent sa propre interprétation de l’environnement urbain et résultent de son expérience personnelle. En 2014, ROA a réalisé sa seule et unique fresque à Paris dans le 13e arrondissement pour compléter le parcours de grandes fresques du Boulevard Paris 13, organisé par Itinerrance. Il s’agit du squelette d’un animal que lui a inspiré une visite au Muséum National d’Histoire Naturelle.

ROA rend visible la faune en ville

A travers la réalisation de ses fresques, ROA attire notre regard et notre attention sur les figures de son bestiaire. Il nous familiarise subtilement à la présence et l’existence des animaux dans l’espace public. Cette visibilité qu’il offre à ses sujets est encore plus accrue par le côté ludique qu’on peut puiser dans la contemplation de ses œuvres. On se surprend à essayer de reconnaître de quel espèce il s’agit (surtout si c’est la peinture de son squelette!). C’est la devinette qu’on vous avait fait ici, à propos de sa fresque dans le 13e arrondissement. 

Dans la rue comme en galerie, son travail nous semble fondamentalement interactif. Dans les œuvres qu’il expose à Itinerrance, ce caractère est encore plus explicite. Il présente une série de peintures d’animaux sur des panneaux créés à partir d’un assemblage de plaques de métal issues de matériaux de récupération. Comme dans un placard, il a disposé plusieurs loquets permettant de manier et de jouer avec le support. Le spectateur est ainsi invité à ouvrir une ou toutes les parties de ce dispositif afin de révéler plusieurs couches de l’anatomie de l’animal en question : son entièreté, sa carcasse et ses organes. Au-delà donc de l’aspect ludique, ROA ajoute à son travail une forte valeur pédagogique. Le public expérimente et apprend par lui-même à quoi ressemble chaque animal et de quoi il est constitué. La référence au naturalisme, associée à la démarche et au nom de l’exposition, est encore davantage accentuée grâce au titre en latin de ses œuvres qui révèle l’appellation scientifique des animaux. En définitive, il nous apparaît que sa pratique artistique va de pair avec un réel travail de sensibilisation pour mieux connaître la faune.

Retrouver le lien avec la biodiversité

Fidèle à sa volonté de faire correspondre son œuvre à son contexte géographique, ROA ne représente que des espèces locales ou emblématiques du lieu et du pays dans lequel il peint. En effet, les sujets de l’artiste sont comme réintroduits dans leur milieu naturel. Vous ne verrez jamais une fresque d’éléphant à Londres ou à Madrid. Par contre, à Bangkok, oui ! ROA maintient cette même rigueur en exposition qu’il s’impose dans la rue, c’est-à-dire, à présenter des espèces autochtones. Point de tigre, ni de girafe mais une oie, un écureuil ou encore, un sanglier. Ce sont des animaux qui vivent en France, ou en Île-de-France, et que l’on connaît tous plus ou moins. Parmi eux, des espèces vulnérables ou menacées comme certaines musaraignes ou certains putois. L’une des œuvres montre un lapin et un cerf décharnés et pourrait évoquer l’activité de la chasse, vecteur de nombreux débats et de questions écologiques dans un contexte de mise en danger de la biodiversité. 

Culturellement et historiquement, la ville constitue l’habitat privilégié, voire exclusif, de l’homme et des animaux qu’il choisit d’accueillir. L’approche de ROA est de revaloriser cette faune locale avec laquelle on cohabite mais que l’on a pris l’habitude d’ignorer voire, envers laquelle on est hostiles. Probablement parce que nos habitudes et nos rythmes urbains nous cloisonnent et rendent notre contact avec cette nature de plus en plus rare, voire jusqu’à générer une déconnexion de notre mode de vie à la nature. Ses œuvres tendent à nous rappeler avant tout que l’on ne coexiste pas uniquement entre nous, humains, mais avec une diversité d’espèces qu’on appelle la biodiversité. « La biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux ». Et en dépit de son caractère artificialisé, la ville incarne bel et bien un écosystème à part entière (N. Machon, 2020). Spontanément et inexorablement, la biodiversité investit les interstices disponibles. ROA, qui ne dessine jamais d’humain, intervient dans l’espace urbain en questionnant nos perceptions des rapports entre homme et biodiversité, comme pour rééquilibrer la place de l’homme dans cet écosystème. 

La portée écologique de son oeuvre

Pendant ma visite, l’enthousiasme des visiteurs était palpable. Et particulièrement devant l’installation d’un véritable avion de tourisme à l’entrée de la galerie. Sur la première face latérale est représenté un corbeau et de l’autre côté, l’artiste a peint ses entrailles. Gardant en tête le lien qu’entretient l’artiste entre son sujet et son contexte, nous pensons que le corbeau sur l’avion renvoie au rapport entre l’être humain et les animaux avec cette idée forte que notre espèce aurait conquis tous les milieux, ciel, terre, mer et même au-delà. L’exposition ferait ainsi écho à l’ère de la sixième extinction de masse qui renvoie à l’impact des activités humaines sur la planète qui mène à la disparition des espèces. 
Le déclin de la biodiversité est moins médiatique que celui du réchauffement de la planète qui nous évoque spontanément l’image d’un ours polaire affamé sur la banquise qui fond, ou d’un koala pris par les flammes en Australie. Ce genre de phénomènes spectaculaires nous marque plus facilement l’esprit. Tandis que la diminution drastique de la population d’insectes ou le recul de certaines espèces de plantes sur le territoire français nous laisse plus indifférents.

Un constat est ainsi dressé, selon lequel « la biodiversité est une préoccupation secondaire pour les habitants, face à des enjeux environnementaux plus globaux. Peu d’évolutions dans les populations animales et végétales sont remarquées par les habitants localement, comme si la biodiversité ‘se portait bien’ » (Cormier et al., 2019). Cet écart de sensibilisation s’explique en partie parce que c’est un enjeu dont les institutions nationales et internationales s’emparent depuis plus récemment. Dernièrement, l’organisation du One Planet Summit pour la biodiversité le 11 janvier dernier a permis d’attester de la prise de conscience croissante de notre société et des réflexions à venir. Au-delà des bénéfices évidents que les écosystèmes naturels apportent à nos modes de vie, « préserver la biodiversité en ville c’est également prendre part à la conservation des espèces » et ce vers quoi nous pouvons orienter une partie de nos engagements écologiques et citoyens.


Que l’on soit dans l’espace public ou en galerie, ROA nous offre presque métaphoriquement une visite au zoo ou au musée d’histoire naturelle. Les sujets de l’artiste ne sont peut-être pas aussi spectaculaires ou exotiques que les espèces d’animaux que l’on peut observer dans ces endroits. Son travail permet en effet de rappeler qu’ils ne sont pas l’objet d’un divertissement mais bien les représentants d’une biodiversité essentielle à l’homme.

Enfin, ROA ne s’attache qu’à reproduire des animaux. Mais la flore n’est évidemment pas exclue de la notion de biodiversité et de ses enjeux. Et peut-être que cette thématique est au cœur du travail d’autres street artistes. Partagez-nous dans les commentaires les références d’artistes qui vous viennent en tête !

Un dernier parallèle que l’on s’autorise à faire ici touche au contexte de production de l’exposition. En effet, pendant que ROA préparait ses œuvres, il était confiné à Paris. Lors du premier confinement, nous avons tous été émerveillés du retour de la faune en ville alors que nous avions été contraints de déserter l’espace public. Et, nous avions eu écho des effets positifs du ralentissement des activités humaines sur la planète. L’œuvre globale de l’artiste résonne particulièrement avec le contexte actuel que nous traversons. 

Informations pratiques

Exposition Histoire Naturelle, ROA.
A la galerie Itinerrance.
 24b Boulevard du Général d’Armée Jean Simon, 75013 Paris
Jusqu’au 31 mars. Entrée libre du mardi au samedi, 11h-17h.


Bibliographie

Et pour approfondir tous les thèmes que nous venons d’aborder…

ROA

  • Eludut, E., « ROA – entre rêve et réalité ». Graffiti Art magazine, 2020
  • Björn Van Poucke, Elise Luong, Street art /today. Les 50 plus grands noms du street art actuel, Alternatives, 2016.
  • Exposition ANNIHILATION, en 2020, à la galerie Backwoods à Melbourne

Biodiversité

  • Bruno David, A l’aube de la 6e extinction, Grasset, 2021.

Biodiversité en ville

  • Machon, N., « Les grandes lois de l’écologie appliquées à la biodiversité urbaine », Urbanisme et Biodiversité, Apogée, 2020.
  • Une brochure de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) pour comprendre ce qu’est un écosystème urbain.

2 commentaires pour “

ROA, Histoire Naturelle : un plaidoyer de l’art pour le Vivant”

  1. Super article, bien documenté et intéressant , ça donne envie de découvrir un peu plus cet artiste génial ! Je vais aller voir de plu près son travail sur le boulevard vincent auriol !

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