Rouen, la ville aux cent clochers, là où j’ai passé tous les étés de mon enfance, est en train de devenir une escale incontournable du street-art en France. À l’occasion de la seconde édition du festival « Rouen Impressionnée », j’ai redécouvert cette ville et elle m’a impressionnée !
Au-delà de son histoire et de son vaste patrimoine qu’il ne vous faudra pas manquer de découvrir, je vous propose ici un panorama non-exhaustif de la scène d’art urbain rouennaise au travers de ce festival, de l’artiste très emblématique InkOj et du centre d’art, le Hangar 107.
Comme cela se produit à Rouen, de plus en plus de villes adoptent une politique culturelle favorable au street-art, perçu comme un levier de développement local. C’est un nouveau phénomène touristique et on voit éclore de nombreux festivals à travers la France : à Bayonne, Sète ou Besançon, pour n’en citer que trois. En somme, l’art urbain contribue à embellir la ville et à renouveler son attractivité. Il participe souvent à revaloriser des quartiers ou des territoires marginalisés par rapport à un centre, à l’instar du XIIIe arrondissement de Paris, de Vitry S/Seine ou du Cabanyal à Valencia (ES).
Le festival d’art urbain ‘Rouen Impressionnée’, Rive Gauche
L’urbaniste Olivier Landes est l’instigateur de cet événement de grande ampleur. Spécialiste de l’art urbain, il est le fondateur de l’association Art en Ville, au sein de laquelle il a également été le commissaire d’exposition du festival In Situ à Aubervilliers.
Pour sa seconde édition de 2020, ‘Rouen Impressionnée’ investit la Rive Gauche avec une vingtaine d’artistes programmés. Il vous faudra donc traverser la Seine depuis le centre-ville. Au moment où j’ai assisté à l’événement, 9 artistes avaient déjà réalisé leur fresque lors de la première partie du festival, entre le 23 juin et le 17 juillet.
J’en profite donc pour vous teaser la deuxième partie du festival qui a commencé lundi 24 août. Les artistes se produiront jusqu’au 25 septembre. Parmi eux, je citerais Manolo Mesa et Elian Chali qui sont un peu mes vedettes depuis que j’ai eu l’honneur de découvrir leur travail à Valencia. Toutefois, un festival c’est surtout l’occasion de faire des découvertes, parfois bouleversantes ! Je vous présente en photographies une sélection de 4 fresques sur les 9 qui ont été peintes durant la première partie du festival et qui m’ont tout particulièrement séduites.
En bref, Rouen Impressionnée se déroule du 23 juin au 15 novembre 2020. Deux parcours ont été créés à Saint-Sever (prononcez Saint S’ver) et à Grammont pour vous permettre de vous repérer facilement à travers la ville sans en perdre une miette !
P’ti tips : la programmation est en deux parties, et en fonction du moment où vous suivrez l’un des parcours, toutes les fresques ne seront peut-être pas achevées (je me suis fait prendre au piège !)
Partie 1 / partie 2 / cartes des parcours
Des visites gratuites sont à réserver ici avec plusieurs dates pour le mois de septembre et d’octobre. Tout est disponible sur le site mais je vous mâche le travail ! 😉
La première édition du festival s’est tenue en 2016 dans trois zones : le centre-ville, les quais et le quartier des Sapins dans les hauts de Rouen. Ces choix géographiques traduisent sans doute une volonté des organisateurs de produire un événement qui irrigue la ville dans son centre très dynamique mais aussi en valorisant des quartiers plus éloignés géographiquement.
Je suis donc allée en voir quelques-unes des œuvres héritées de cette précédente édition : en voici quelques photos !
SatOne « Less Than a Second » (2016) au Hangar 23 – 9000 Boulevard Emile-Duchemin
Derrière le pont Flaubert, Rive DroiteGaspard Lieb « L’Apparition » (2016), collage au 50 Avenue de la Porte des Champs
Conservatoire de RouenRobert Proch « Omnia » (2016) au 19 rue Auguste-Houzeau
Derrière le cinéma Omnia
Certaines d’entre elles n’existent plus, notamment le Calmar géant de Brusk, dont le bâtiment support a été démoli en 2017. Et puis je n’ai finalement pas eu le temps de me rendre dans le quartier des Sapins, mais j’espère retrouver une occasion prochainement.
Les fresques de l’artiste InkOj dans le quartier Saint-Marc
Pour appréhender pleinement le rapport entre la ville et le street-art, je suis sortie du cadre institutionnel du festival pour m’imprégner d’autres modes d’expression. Proche des rues commerçantes, la place Saint-Marc incarne un îlot plus paisible du centre-ville. J’y ai tout de suite remarqué une œuvre de l’artiste InkOj dont le travail m’a semblé particulièrement emblématique.
Depuis décembre 2019, il recouvre au pochoir et à la bombe les sorties d’immeubles du quartier Saint-Marc. Ses motifs ressemblent à ceux des azulejos portugais et espagnols. Au delà de ce style que j’affectionne tout particulièrement, c’est sa démarche territoriale qui m’interpelle profondément. En effet, la profusion d’œuvres dans le périmètre du quartier revalorise les rues, trottoirs et l’entrée des bâtiments, renouvelant ainsi toute son esthétique urbaine. L’emplacement de ses fresques n’invite plus le citadin à lever les yeux sur ce qui l’entoure mais plutôt à regarder sous ses pas ! D’ailleurs, quand on observe un peu les rues pour découvrir le street art qui s’y cache, bien souvent on trouve de petites merveilles en baissant les yeux 😉
Rue Armand Carrel Rue Armand Carrel Rue Armand Carrel Rue de Robec Place Saint-Marc
Ce projet répond à une initiative personnelle, spontanée et vandale de l’artiste qu’il finance lui-même et dans lequel il exerce une liberté totale. La mairie de Rouen adopte, semble-t-il, une posture de tolérance comme c’est de plus en plus courant dans de nombreuses villes françaises, aujourd’hui.
Car, l’art urbain est véritablement un vecteur d’identité culturelle et de lien social. Il peut se faire l’ambassadeur d’un quartier. Je l’ai constaté à plusieurs reprises par le biais de rencontres inattendues (cf : mon excursion dans le Cabanyal). En photographiant des œuvres, j’ai été interpellée par le gérant du Café de l’Époque, au 43 rue Armand Carrel. C’est beau de voir que la fierté et l’enthousiasme se mêlent à ces conversations dans lesquelles l’art urbain devient un prétexte naturel pour discuter du quartier et de son aura. C’est lui-même qui m’a fait observer que les motifs des œuvres d’InkOj reprenaient la continuité des carreaux à l’intérieur des immeubles dont l’entrée est fermée la plupart du temps. Cela se remarque néanmoins devant les terrasses des cafés où nous pouvons publiquement entrer la journée.
Je vous invite donc à traverser la rue Eau de Robec où l’on succombe au charme de la ville et de ses maisons en colombage, et qui a justement été prise d’assaut par l’artiste InkOj, suite à une commande groupée des restaurateurs.
Rue Eau de Robec
Les œuvres d’InkOj remettent donc à la vue de tous un patrimoine architectural caché : les traditionnels carreaux de ciment ou de céramique des intérieurs rouennais. De l’espace privé, ils débordent maintenant sur la rue, dans l’espace public de la ville grâce à sa pratique d’un art contemporain et urbain !
Le Hangar 107 sur les Docks
Le Hangar 107 est un lieu incontournable pour les amateurs d’art urbain. Je trouve que la programmation est toujours excellente et j’ai adoré l’exposition collective de cet été. Elle a rassemblé tous les artistes qui avaient été exposés au centre d’art depuis son ouverture en 2018. Parmi eux, je citerais entre autres, quelques coups de cœur : Tania Mouraud, Tilt et Thomas Canto.
La prochaine exposition mettra à l’honneur le travail d’Olivier Kosta-Théfaine et sera ouverte du 24 septembre au 31 décembre 2020.
Le Hangar 107 se situe sur les docks, un environnement beaucoup plus moderne et industriel qui contraste avec l’architecture du centre-ville. Le cadre de la galerie est lumineux grâce aux baies vitrées qui laissent entrevoir un joli panorama de la rive droite. A l’extérieur, on saisit toute la beauté du bâtiment dès lors que l’on voit les rayons du soleil ricocher sur la façade en verre. Je vous invite aussi à traverser le Pont-levant Flaubert pour vous arrêter sous ses immenses piliers de béton et admirer la Seine.
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Pour conclure, voici une œuvre surprenante qui donne un effet de trois dimensions de l’artiste Jaw réalisée en juin dernier. Il s’agit d’une commande de la Métropole Rouen Normandie pour embellir la rue des Vergetiers. A deux pas du Gros Horloge, elle se situe au cœur d’une zone très animée. L’objectif était de revaloriser cette rue piétonne mais très peu fréquentée. Ce projet traduit parfaitement l’attrait de l’art urbain dans les stratégies d’aménagement du territoire.
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Ressources :
Le site officiel du festival Rouen Impressionnée
Le compte instagram d’Olivier Landes, curator du festival
Le site officiel de la ville de Rouen
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Bibliographie complémentaire :
« Une fresque murale pour embellir une rue piétonne, à deux pas du Gros-Horloge, à Rouen », Actu.
« Le 107, nouvelle place forte de la rive gauche à Rouen », Paris Normandie.
« Le poulpe part en morceaux sur les quais de Rouen », Paris Normandie.
« A Rouen, le street art a envahi la ville », Télérama.
« Rouen se laisse surprendre par le street art », Le Monde.
« Carrelage et révolution industrielle », dossier BNF.
« Du clos à la place Saint Marc, histoire d’un mythe urbain à Rouen », Paris-Normandie.
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© toutes les photos de cet article sont d’Invisible Walls.