Vue d'une rue encadrée par des immeubles avec au bout de la rue des graffiti au dernier étage d'un autre bâtiment

Bucarest part.1 : une ville de tous les contrastes

Bucarest, la capitale de la Roumanie, est une ville de tous les contrastes. Son architecture et urbanisation en sont les premiers témoins. C’est frappant au moment où on pose ses yeux sur la ville et qu’on se balade entre les différents quartiers. Bâtiments du 19e siècle en ruine ; imposants édifices datant de l’ère soviétique qui ont écrasé le centre-ville, à l’image du bâtiment de l’actuel Parlement, plus grand palais construit dans l’ex URSS ; et immeubles très modernes s’entrechoquent en l’espace de quelques rues.
Au moment où ne nous pouvons pas voyager, je vous propose une envolée virtuelle dans cette ville qui m’a fascinée, par le charme si particulier qui s’en dégage et par son étroite relation avec le street art qui lui offre un nouveau souffle.

Dans ce premier article je dresse un panorama du contexte historique et urbain qui a mené à l’arrivée des graffitis et du street art dans la ville, et je vous présente quelques envahisseurs que j’ai retrouvés tout au long de mon voyage. Un deuxième article suit dans lequel nous partons à la découverte des nombreuses fresques de la ville. Vous trouverez le lien en bas de cet article 😊 

Il y a un an, en avril 2019, j’étais donc à Bucarest en voyage pédagogique avec ma classe de master. Étudiants en histoire, patrimoine et architecture nous partons explorer une capitale européenne ! Nous avons passé cinq jours dans la capitale roumaine, entre conférences à l’Université d’Urbanisme et d’Architecture Ion Mincu de Bucarest (UAUIM), visites du centre-ville avec un des professeurs de l’Université de Bucarest, et puis les fameux quartiers libres bien sûr ! 

Appelé « Petit Paris » au XIXe siècle, Bucarest s’est modernisé à partir de 1859 et de nombreux bâtiments d’influence architecturale française ont été construit. Puis sous le régime communiste (1945-1989), le gouvernement a confisqué les biens privés, les maisons des habitants de Bucarest, pour les démolir ou les utiliser en bâtiments administratifs. Aujourd’hui, les jeunes se mobilisent pour préserver leur ville et ses vieilles maisons datant de la « Belle Époque » et qui, après la chute du gouvernement communiste, n’ont pas forcément retrouvé leur propriétaire d’origine et ont été laissé à l’abandon. Ils les restaurent et créent de nouveaux espaces de convivialité et de culture urbaine.
Une étude réalisée par l’UAUIM en 2016 a par exemple permis d’identifier 400 espaces inutilisés dans la ville et d’analyser le potentiel de réhabilitation de ces bâtiments.
Ces maisons ne sont pas des squats puisque leurs nouveaux occupants ont des accords légaux avec les propriétaires qui leur offrent ces biens à bas prix en échange de leur préservation. Les jeunes rendent économiquement viables leurs projets en ouvrant des galeries, cafés, bars ou boutiques à l’intérieur des maisons restaurées. Et ces espaces permettent de fédérer des communautés de gens qui évoluent autour de pratiques artistiques communes, notamment le graffiti. Cela offre aux quartiers et à la ville tout entière une attractivité économique et culturelle nouvelle.

Ces interventions artistiques créent de nouvelles opportunités et transforment la ville. Dans le contexte économique très dur de la Roumanie, le street art est une alternative culturelle accessible à tous. 

  1.  La scène vandale des graffiti

Façade de l'Université de Bucarest avec des graffiti partout sur le bat du batiment
Université de Bucarest

La première chose qui m’a marquée à Bucarest, en arrivant dans le quartier historique de Lipscani (voir plan), c’est la quantité de tags et graffitis qui ornent le bas des immeubles les plus délabrés de la ville, sans considération pour l’importance ou la fonction du bâtiment. Par exemple, l’Université de Bucarest est couverte d’inscriptions sur toute la base du bâtiment. L’emplacement de ces graffitis est assez intéressant : ils ne sont situés qu’à hauteur humaine au RDC des bâtiments ou bien tout en haut, en accédant par les toits.

Le contexte urbain post soviétique de Bucarest a généré de nombreux contrastes et cet espace public est devenu un terrain propice aux graffiti. Premièrement, puisque de nombreux édifices sont laissés à l’abandon et qu’il reste également des ruines de bâtiments soviétiques qui n’ont jamais été terminés. 

D’ailleurs, certains de ces bâtiments en ruine sont très fragilisés et ils sont marqués par les autorités d’une pastille rouge. Elle signale le risque d’effondrement en cas de tremblement de terre, car le risque sismique est important en Roumanie, particulièrement à Bucarest.

« Bâtiment en première classe de risque sismique« 

Et puis deuxièmement, la jeunesse roumaine brimée et privée de toute liberté d’expression sous le régime communiste a enfin pu s’exprimer à la chute du communisme en 1989 et elle s’est tournée vers la culture occidentale. Le mouvement hip-hop, avec le tag et le graffiti, est arrivé au début des années 1990 en Roumanie et les jeunes se sont emparés de ce moyen d’expression visible de tous. Les trains et les bâtiments abandonnés de la ville sont devenus une surface de création privilégiée pour les jeunes graffeurs roumains. Le système de répression du gouvernement contre les graffeurs était et est toujours très faible, cette lutte n’est pas une priorité. De plus, les roumains n’ont pas le sentiment d’avoir une responsabilité civile face à leur ville. Ils ne la perçoivent pas comme la leur et ne sont pas encouragés à participer aux décisions d’aménagement urbain. L’espace public est perçu par la plupart des Bucarestois selon l’article de Miruna Tîrcă comme « moche et polluée, peuplée de voleurs, de corruption et de dangers » tandis que l’espace privé du foyer est considéré comme un « endroit sûr ». Et ils ne sont pas non plus inclus dans les décisions collectives d’aménagement de la ville par les administrations locales. 

 

Texte en pochoir placé entre deux éléments de décors d'un immeuble
« L’indifférence tue
Qu’est-ce que tu attends ? « 
#unoptimist

Les premiers graffitis apparus dans les années 90 étaient politiques. Nombre d’entre eux le sont probablement toujours mais je ne lis malheureusement pas le roumain et je n’ai pas trouvé d’articles récents sur ce phénomène depuis que le Parti Social-démocrate est arrivé au pouvoir en décembre 2016. Le gouvernement roumain est en effet gangréné par la corruption et le PSD « n’a eu de cesse de modifier lois et codes, allant jusqu’à menacer l’État de droit, diminuant les droits de l’opposition et les pouvoirs du Président » d’après un article de Libération. Les espoirs du peuple roumain, et les perspectives d’avenir de la jeunesse ont été anéanties en quelques années par cette nouvelle politique.
Mme Negulescu, professeure à l’UAUIM, nous disait que la moitié des étudiants de l’université sont partis ces deux ou trois dernières années pour poursuivre leurs études à l’étranger.
Le PSD a depuis été renversé en octobre 2019 par une motion de censure.

 

Monument du mémorial de la Renaissance
Mémorial de la Renaissance

Un exemple de graffiti vandale se trouve sur le Mémorial de la Renaissance, place de la Révolution. Inauguré en 2005, il est dédié à la « Gloire des Héros de la Révolution de 1989 », révolution qui a mené au renversement du dictateur communiste Nicolae Ceausescu et de sa femme, et à leur exécution. Le monument, pourtant très attendu des roumains, est controversé pour son design. Son auteur, Alexandru Ghilduş, est un designer, non un sculpteur, et les critiques soulignent le manque de symbolisme de l’œuvre. Selon eux, il ne représente pas bien l’importance de l’évènement, la souffrance du peuple et les victimes qu’il y a eu. M. Turcanu, professeur à l’Université de Bucarest, nous expliquait que le monument est détesté par les Bucarestois qui le surnomment d’ailleurs la « patate empalée ».
Le monument est tagué et vandalisé sur le bas par de nombreux graffitis, et un jet de peinture rouge a été jeté sur la « patate » en 2012. Trop haut, il n’a jamais été effacé.

      2.   Les envahisseurs

AEUL est un de ces artistes omniprésents sur les murs de la ville. Il graff son personnage “the piggy-dog”, entre cochon et chien, dans plein de situations différentes. Il est devenu le symbole de la communauté des graffeurs à Bucarest, présent à travers tout le tissu urbain, du cœur historique jusqu’aux banlieues. Il peint ses piggies dans des espaces « bondés, sales et empreint de consumérisme».

 

 

Je ne crois pas que quelqu’un les ait compté, j’ai perdu le fil autour de 500. Certains disparaissent, d’autres apparaissent…

AEUL

 

Concernant la technique du pochoir et du collage, deux artistes roumains sont très présents sur les murs de Bucarest : Toy Box et Ortaku.

Petite œuvre en relief représentant un visage, signé J.Ace
J.Ace

J’ai également repéré une petite œuvre en bas-relief rue Victoriei par J.Ace, un street artiste anglais de l’est londonien qui sculpte ses « small faces » et les colle dans le monde entier. Il est venu plusieurs fois à Bucarest, notamment pour une intervention artistique au Capitol Cinema / Summer Theatre, bâtiment historique abandonné qui est devenu un haut lieu du street art de la ville. J.Ace rend hommage aux lieux où il colle ses œuvres en sculptant des portraits de personnages qui l’occupaient.

J’ai trouvé peu d’infos accessibles en ligne sur le graffiti à Bucarest mais j’espère avoir réussi à rester fidèle à son histoire et à son contexte urbain actuel. Ma bibliographie est en bas de l’article si vous souhaitez approfondir le sujet, et si vous avez des précisions à m’apporter, n’hésitez pas à laisser un commentaire 🙂

Si vous avez, comme moi, envie de partir loin, très loin de chez vous et de décoller illico presto pour Bucarest : je vous propose une petite balade urbaine dans la ville au fil de ses fresques dans un second article Bucarest part.2 : Déambulation urbaine au fil de ses fresques !
Bibliographie :

 

© toutes les photos de cet article sont d’InvisibleWalls.

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